Pourquoi Gaza?

Pourquoi ce voyage? Pourquoi la bande de Gaza? Ou comme dirait ma chère mère, "mais pourquoi donc cherches-tu autant à te compliquer l'existence Joan?"

Plusieurs raisons peuvent venir expliquer ce choix et cette envie, que je sais incompréhensibles pour certains d'entre vous, mais qui ne relèvent pourtant ni d'un coup de tête, ni d'une fuite en avant, ni d'un caprice de petite fille gâtée en mal de sensations fortes. 

En premier lieu, cette experience est la continuation logique de ce vers quoi ma passion pour cette région du monde et ce conflit m'a deja amenée depuis plusieurs années. Mon histoire d'amour avec le peuple palestinien n'est pas nouvelle, elle est née en 2009, lors de mon premier voyage en Israël et Territoires Palestiniens Occupés. Cette formidable association qu'est FFIPP (Faculty For Israeli-Palestinian Peace) m'a donné l'opportunité unique de saisir de la meilleure des manières les clés de compréhension essentielles aux dynamiques complexes que sous-tend cette région. Mon experience de quelques semaines à Ramallah en tant que stagiaire au Palestinian Hydrology Group fut certes brève, mais d'une rare intensité émotionnelle. J'ai su dès les premiers jours que je ne pourrais désormais plus me passer de cet endroit. Et je ne me suis pas trompée. 

Depuis ce jour, mon parcours académique et personnel a suivi sans jamais s'en éloigner les courbes de la fameuse ligne verte. Travaux de maitrise, mémoire de fin d'études, engagement associatif, stages, premier emploi, voyages personnels et professionnels, thèmes de recherche... tout s'est de près ou de loin retrouvé lié au conflit israélo-arabe et à son analyse. 

Cependant, il manquait une pièce majeure au puzzle, un élément essentiel au tableau. Parler des enjeux de cette region sans avoir eu l'occasion de voir de mes propres yeux cette grande prison à ciel ouvert que constitue la bande de Gaza a toujours constitué pour moi un non-sens. Prétendre comprendre en profondeur la totalité des enjeux de ce conflit sans avoir experimenté la vie quotidienne de la moitié de la population palestinienne était simplement inimaginable pour l'analyste politique et sociale que j'aspire à être. Mon besoin de terrain était trop grand et trop important pour ne pas me mener au bout du compte là où je suis aujourd'hui, assise dans le salon de mon appartement à Gaza city, et sur le point de débuter demain mon premier jour de travail au Gaza Community Mental Health Programme. 

Au dela de la nécessité professionnelle de m'enquérir personnellement des réalités du terrain pour mieux les saisir, j'ai toujours eu une profonde curiosité, presque une fascination, pour la situation qu'est celle de la bande de Gaza, sous blocus depuis 2007 (inutile évidemment de mentionner l'immense indignation qui les accompagne dans mon esprit). Comment des êtres humains peuvent-ils décemment vivre en étant tenus enfermés dans un territoire si ténu et regulièrement privés de leurs besoins quotidiens fondamentaux? De quels expédients l'esprit humain est-il capable pour s'adapter à un cloisonnement si peu naturel? Nous ne sommes pas des moutons que l'on peut impunément parquer dans un enclos au nom d'un quelconque motif sécuritaire, si réel et préoccupant soit-il. Comment dès lors conserver son humanité lorsque qu'un système d'occupation complexe s'applique à nous la refuser au quotidien, en nous traitant comme un animal? Encore une fois ici, il est selon moi impossible de le comprendre pleinement sans le vivre soi-même. D'ou la deuxième raison de ma présence. Ces questionnements seront d'ailleurs à la base d'une partie des sujets de recherche que je vais lancer ici dans le cadre de mon travail. Et je dois avouer que dans ce domaine, je suis plutot "chanceuse": difficile de trouver mieux pour répondre à mes interrogations qu'une ONG locale de psychologues, travaillant depuis plus de 20 ans sur l'impact psychologique du conflit sur la santé mentale de la population gazaouie. 

Une troisième motivation à ma venue, et non la moindre, est mon besoin quasi-maladif de déconstruire chaque idée reçue qui se présente à moi, d'autant plus lorsque celles-ci concernent le Moyen-Orient et le conflit israélo-palestinien. Une partie de mes recherches se concentrant sur le neo-orientalisme et les ravages que les préjugés sur la culture musulmane peuvent causer aux relations Est-Ouest, notamment au processus de paix en cours (ou pas...) dans la région, il me paraissait donc naturel d'entreprendre un voyage dans l'un des endroits du monde les plus (mal) médiatisés. J'ai toujours eu une grande méfiance pour le prisme déformant que peuvent constituer les médias, et me suis toujours donné pour objectif personnel et professionnel de tenter d'aller au delà autant que possible, convaincue que les véritables clés de compréhension se situaient derrière ce gigantesque filtre qui a déjà fait tant de mal à cette région du monde. C'est d'ailleurs l'une des missions fondamentales de FFIPP que de participer à la déconstruction de ce discours monolithique et manichéen dont souffre ce conflit, et contribuer autant que possible par la sensibilisation du monde étudiant et universitaire à la diffusion d'une information plus juste et plus nuancée. Je crois profondément en la nécessité de ce travail, et compte de ce fait inscrire mon voyage dans la continuation de cet effort de sensibilisation.

2 commentaires:

  1. Merci de nous faire part des péripéties liées au passage de la frontière égyptienne vers Gaza. Bonne chance dans ce projet très intéressant. J'espère que nous pourrons lire vos impressions le long de votre séjour là-bas. C'est passionnant.M. Haggar (Mission de paix UQAM)

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  2. Brigitte Harel1 juin 2012 à 02:16

    J'ai eu beaucoup de plaisir à te lire, j'ai même eu l'impression d'y être par moment. Ce qualificatif de prison à ciel ouvert attribué à Gaza m'a interpellée.
    Au plaisir de lire ta prochaine chronique

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